Chaque jour, je m’efforce de faire quelque chose que je n’ai jamais fait auparavant. C’est peut-être une discipline, mais c’est avant tout un défi ou un jeu. C’est également une forme d’impérieuse nécessité pour quelqu’un qui fait de la création son métier et sa vie.
Aujourd’hui, j’ai tenu ma première réunion entièrement en espagnol. Je devais m’adresser au directeur marketing d’un grand groupe alimentaire espagnol qui ne parlait pas anglais.
Je fais quatre à cinq présentations par mois en anglais.
J’avais également déjà fait des présentations en italien, langue que j’avais tout bonnement massacrée. J’ai aussi conduit une réunion mélangeant anglais et hébreu, langue que je maîtrise très mal mais dont je connais les phrases et expressions du quotidien.
Mais cela faisait une éternité que je n’avais pas parlé espagnol. La réunion passée, deux conclusions s’imposent : 1/ la réunion s’est bien passée, 2/ J’ai complètement oublié comment fonctionne le subjonctif espagnol et ça, clairement, ça n’a pas plu aux oreilles de mes interlocuteurs !
Quand on est musicien, on est généralement doué pour les langues, car c’est aussi un art de l’oreille.
Savoir entendre, écouter, analyser pour reproduire une texture, un accent, une logique orale. Je dois avouer que j’ai une astuce en plus pour les langues : écouter de la musique. La nuit avant la réunion, j’ai écouté en boucles deux ou trois albums de chansons en espagnol.
Cela permet de créer une sorte de reconnaissance inconsciente, une proximité, une familiarité feinte mais qui fait diminuer l’appréhension naturelle de devoir prendre la parole lors d’une réunion importante dans une langue que l’on maîtrise mal. Quand je vais au Portugal, je fais pareil. Il y a un parfum particulier dans certaines chansons, qui ouvre dans mon cerveau une boite à secrets où se cachent du vocabulaire, quelques « idiomatismes » qui ont le formidable avantage de regonfler votre confiance quand ils sortent de votre bouche.
Qui ont aussi l’heureuse conséquence de créer un pont entre vous et vos interlocuteurs, une forme de tribut à leur bienveillance. Le Portugal, c’est mon bol d’air trimestriel. Parler portugais, c’est pour moi du repos en soi, de l’apaisement, de la générosité, des saveurs et de l’amour. Présenter en portugais, ce serait pour moi ajouter de l’amour à l’amour que je porte déjà à la musique et à la marque.
J’adorerai être capable de faire une présentation en portugais.
En arabe aussi, j’aimerai. La réalité, c’est que chaque fois que je fais une présentation au Maroc je trouve que la faire en français ou en anglais, c’est mettre une vraie limite à la force de nos démonstrations. Il manque le mot qui va toucher au-delà du sens, par sa texture et son enveloppe.
De cette réunion d’aujourd’hui, je retiens autre chose. Il y avait un autre compositeur avec moi, un garçon talentueux et travailleur, mais qui n’a pas notre expérience internationale ni notre savoir-faire de créateur. J’ai entendu son travail, marqué par son identité et ses racines. Eh bien, la frustration que je ressens parfois dans ces réunions exotiques s’envole avec la musique que l’on créé chez Sixième Son.
Ce matin, c’était incroyable : les deux cas internationaux que j’ai présenté, tous autour de la table les ont compris, non pas avec mes mots mais avec nos musiques. Ils ont compris avec bien plus de précision, de force que ce que je ne pourrais obtenir en les décrivant. Après bientôt vingt ans, je me rends compte que nous avons vraiment acquis ce savoir-faire. Nous « parlons la musique » comme d’autres parlent anglais ou espagnol.
Mais parler musique, c’est parler à tous, parler aux esprits comme aux cœurs. C’est un « parler » au-delà des frontières et sans leurs empreintes qui enferment souvent les créateurs. Ce n’est pas l’Esperanto. L’Esperanto il faut l’apprendre. Ce parler-là, il suffit de l’entendre, pour le comprendre.
Que placer !
PS : Voici un morceau de musique portugaise, un de ceux que j’écoute quand je file à Lisbonne avec ma femme et mes enfants. Mario Pacheco à la guitare portugaise, Mariza au chant. Un régal !