Je suis bien embêté. Depuis le temps que je fais des interviews, je sais bien que c’est le risque de l’exercice. Voir ses propos parfois déformés, parfois mal interprétés, je m’y étais fait.
Un jour, j’ai eu une discussion avec un journaliste qui avait parlait d’un travail fait pour une marque en citant une autre marque à la place. Il m’avait dit “Le journaliste est souverain, les erreurs ou simplifications peuvent vous heurter, mais c’est un aléa qui fait partie du jeu.” Cela n’appelait pas plus de commentaires de ma part.
Pourtant ce matin, je suis plus embarrassé qu’à l’habitude. Le Journal du Dimanche me consacrait un portait en me créditant de l’invention du design sonore. Or, ce que je revendique, c’est la création du concept d’identité sonore des marques et de design musical. Je comprends qu’un journaliste trouve l’expression un peu longue et veuille en faire un condensé, mais ce condensé change le sens du propos et créé un peu de cette confusion contre laquelle je me bats depuis longtemps. Je revendique aussi que Sixième Son s’appuie sur un vrai travail d’équipe et des contributions plurielles qui mène à la richesse de nos créations. J’espère que ces précisions trouveront leur écho.
Cela montre pour finir qu’il reste du chemin avant que ce métier ne soit bien compris.
La liaison New-York Paris Shangaï est rétablie
Nous travaillons actuellement sur un projet à destination du marché chinois, produit par une agence new-yorkaise et dont nous faisons la musique. En dehors des petits couacs liés au décalage horaire et qui nous font parfois avoir des conférences téléphoniques à des horaires improbables, il y a pas mal de choses à retenir de cette collaboration. Pas mal de choses à comprendre de ce qui marche ou pas dans ces grands écarts multiculturels.
J’ai depuis quelques années une certaine expérience des grands chantiers multiculturels internationaux. Dés le début des années 2000, j’ai été confronté à ce genre de défi. Puis, en 2005, la création de l’identité sonore de Samsung m’avait déjà amené à appréhender sous un angle très concret les enjeux de la création de l’identité sonore d’une marque asiatique, dont le centre de gravité était très clairement ailleurs, et qui confiait donc à une agence française, Sixième Son, sa mission d’identité sonore. En 2008 et 2009, les différents travaux menés pour TeliaSonera Eurasia nous ont permis de réunir autour d’une meme table, à Istanbul, des népalais et des kazaks, des suédois et des moldaves.
J’ai longtemps dit, et c’est vrai, que la musique pouvait offrir un véritable langage international à condition d’en maitriser certains leviers. Pourtant, au delà de la musique elle même, je me rends compte que l’enjeu de notre travail dans ce genre de chantier n’est pas uniquement la compréhension de la marque mais également la force et le statut que lui accorde les cibles auxquelles elle s’adresse.
Pour être plus clair, je voudrai prendre un exemple simple. Prenons la perception de la solidité. Ce n’est pas une valeur dont l’expression créé de problème à l’international, les codes sur lesquels on peut s’appuyer sont assez universaux… à une réserve prés. Selon que vous soyez un américain de Seattle, un chinois de Canton ou un africain de Nouakchott, nous avons pu évaluer que la frontière entre solidité, lourdeur et arrogance ne se situe pas tout à fait au même endroit. Cette distorsion, nous l’avons constatée sur une quinzaine de valeurs. Ce n’est donc pas un problème d’émotion, c’est un enjeu de dosage.
Savoir doser notre brief et la force avec laquelle nous portons musicalement les valeurs qui intéressent notre client, c’est tout l’enjeu de notre travail sino-franco-américain. Nous devons trouver sur trois mot clés le dénominateur commun qui assure à la fois la compréhension de ce que porte la marque et sa valorisation à travers le monde. Il ne s’agit pas de chercher la solution a minima, sous peine de faire un travail aseptisé. Il s’agit d’éclairer chaque partie sur les spécificités de perception qui existent, d’évaluer le risque associé à un parti pris créatif et de trancher en toute connaissance de cause. Il y a forcément une part de risque, il ne faut pas s’en affoler. Il faut s’en réjouir : c’est cette part de risque qui crée l’intérêt d’écoute et finalement la capacité d’émergence de ces travaux à travers le monde.