C’est une première surprise et puis en vient une autre. C’est un grand honneur, et c’est finalement l’occasion de célébrer des années de travail et des centaines de créations de façon réjouissante.
J’ai donc reçu fin aout un premier courrier de la Ministre de la Cuture, Madame Rima Abdul Malak, qui m’informe qu’elle me décerne « au titre d’une nomination exceptionnelle » le grade de Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Immédiatement après, j’ai reçu une lettre de la Première ministre, Madame Elisabeth Borne, qui m’informe qu’elle me remettra elle-même ces insignes à l’Hôtel de Matignon en même temps qu’elle dévoilera à mes côtés l’identité sonore de la Coupe du Monde de Rugby, identité sonore que j’ai créée avec les équipes de Sixième Son.
Que dire ? Je suis à Nice et je montais dans un avion lorsque je suis informé de ces courriers. Je n’ai pas de difficulté à dire que cela m’a semblait irréel. Etait-ce bien à moi que ces lettres étaient destinées. Je ne connais Madame Borne ou Madame Abdul Malak qu’à travers ce que j’ai pu voir ou lire dans les médias. Qu’elles s’adressent à moi ainsi m’a laissé perplexe. Et puis j’ai pensé à mon père. C’est étrange, mais c’est en réalité le premier sentiment que j’ai eu : de la tristesse. La France, la mienne et la sienne, allait m’honorer mais il ne sera pas là.
Exactement deux mois plus tôt mon père s’était éteint. La mort a pris à mon père un moment précieux et qui l’aurait surement rempli de joie, de fierté. Cet honneur était aussi le sien. Je n’en veux pas à la mort, tant celle de mon père était douce, était belle, mais il ne sera pas là, et cela me peine.
Il se passe très peu de temps entre l’annonce de cette distinction et la cérémonie. A peine le temps de régler des détails logistiques, d’informer les écoles de New York que les enfants manqueront le jour de rentrée, qu’il est déjà l’heure de prendre quitter Brooklyn. Nous atterrissons à Paris à 10h, le temps d’aller prendre une douche, de se changer. Rendez-vous pour quelques interviews avec les media mis dans la confidence. Grignotage sur le pouce. Nouvelle douche. On troque le jean et chemise noir habituel pour le costume et la cravate. Il est déjà l’heure d’aller à Matignon. Briefing avec l’aide de camp pour comprendre comment les choses vont se dérouler, où je dois me tenir, et finalement qui doit faire quoi. Je ne bouge pas et je cuis en silence dans ce jardin magnifique où les 30 dégrès celsius sont chez moi ressentis 45.
La Première ministre descend vers le jardin, souriante, détendue. Elle va à la rencontre de ses deux ministres, la Ministre de la Culture, la Ministre des Sports puis se dirige vers moi. Le pupitre l’attend, elle prend la parole. La cérémonie commence.
Difficile de résumer ici ce que dit la Première ministre. Elle parle d’un enfant de la République devenu l’une des créateurs de musique les plus diffusés au monde. Elle parle de ce nouveau métier né d’une vision d’adolescent – j’avais alors 19 ans – et parle de cette histoire « celle d’un succès français » et qui reste français « indépendant et français » quand bien même son succès et sa réputation grandissent très loin de nos terres. Elle parle de ce à quoi je crois et à ces créations qui pavent mon chemin. Elle évoque mon père, ma famille, et ses valeurs auxquelles je crois plus qu’en moi-même.
Pour ces valeurs, pour ce travail, pour ces créations et pour ce nom français qui brille à travers le monde, Madame Borne s’approche de moi et prononce ces paroles entendues tant de fois à la télé– mais qui cette fois s’adressent à moi « Au nom de la République Française, nous vous remettons les insignes de Chevalier… ». Si l’exercice peut sembler convenu, le sourire qu’elle m’adresse lui ne l’est pas du tout. Chaleureux, naturel. Quelque chose de joyeux se dégage de la Première Ministre. Et c’est plutôt moi qui suis engoncé, un peu gauche aussi quand elle me prend par les bras et me donne cette accolade très républicaine.
Madame Borne tend son bras pour me désigner le pupitre. Dans ma tête, les sentiments s’enchainent mais ce qui prédomine tient en quelque mots. « Mon gars, à toi de faire le job. Alors fais le bien ». C’est à mon tour de prendre la parole. Ne pas bafouer – normalement je sais faire. Ne pas improviser – c’est ça qui va être difficile. Ne pas faire long – je me le suis promis. Ne pas faire d’humour – pour éviter le four.
C’est parti, je m’élance. Et ça commence mal.