Méthode et contre-méthode de création, le cas EDF

Facebook
Twitter
LinkedIn

Il y a des créations dont l’accouchement sort de l’ordinaire. Même si depuis des années, j’ai ma petite méthode, dans le cas de l’identité sonore d’EDF, j’ai un peu dérogé.

De façon générale, j’aborde la direction de la création dans un mouvement de va et vient. Je prends pas mal de temps pour la réflexion, souvent assez seul, en amont de toute discussion ou de toute démarche créatrice. J’essaye de me faire une opinion sur les enjeux, d’en tirer une substantifique moelle stratégique, de voir où se cacherait la « vraie valeur ajoutée » que l’on pourrait produire pour la marque. Puis, je lance des idées, j’échange avec l’équipe, je vois comment mon propos est compris. Je repars en réflexion puis je plonge en création, souvent peu de temps, en mobilisant l’équipe en partie ou en totalité. Je lâche des mots clés, je lance des pistes, des idées, l’équipe se met en branle. A mon tour, je m’assois en studio et je « click » : bref, je rentre dans le cambouis de la création et très vite je m’en retire.

Ne pas rester longtemps en création, ne pas laisser trop de temps à la musique pour se faire est pour moi une triple nécessité. Je sais qu’il y a un effet de seuil dans la création d’identité sonore : si l’on passe trop de temps d’affilé sur une création, on laisse une place croissante à l’esthétique esthétisante, « à la raison du beau ». On se laisse griser par la création qui prend le dessus sur la raison, le sens, l’impact. Ne pas passer trop de temps, c’est créer ce que l’on veut créer et pour moi, c’est la garantie, d’obtenir ce que je veux obtenir.

La seconde raison est liée au travail d’équipe. Si je suis trop présent en création, je ne laisse ni le temps ni l’espace aux membres de l’équipe pour contribuer à la réussite du projet. Pour que la fusion des idées soit la plus pertinente possible, il faut bien laisser un peu de temps à chaque contribution d’être pensée et formulée. L’arbitrage permanent qui est le mien est toujours plus réjouissant quand chacun a pu prendre le temps de digérer ce que les consultants et moi-même avons donné comme instructions pour ce design musical.

La dernière raison pour laquelle je m’astreins à ne pas m’attarder sur une création, c’est qu’il est indispensable de garder une fraîcheur, un recul et en fin de compte un sens critique fort. Etre juge et partie n’a pas que des inconvénients si l’on maintient une certaine distance entre le créateur et son œuvre.

Quand j’étais petit, dans les premières années où je créais de la musique, je me souviens parfaitement que mes parents, mes sœurs me demandaient souvent, à l’écoute du morceau, d’où me venaient ces idées, cette inspiration. Honnêtement, je ne savais pas. Je passais des heures sans m’en rendre compte, je passais des nuits à composer – ce qui inquiétait légitimement mes parents – mais je n’en voyais pas la source. Je répondais presque toujours « ça vient des doigts ». Au fond, je crois que je le pensais sérieusement. C’est vrai que je laissais mes doigts sur le clavier ou sur les cordes, et c’est comme si une vie autonome leur était donnée. Cela ne menait pas forcément au chef d’œuvre mais parfois des constructions mélodiques et harmoniques s’en échappaient avec un certain bonheur.

Aujourd’hui, je sais ce qui nourrit ma créativité. Je sais ce qui fait mouche dans mon esprit, les questions que je dois me poser pour que s’ouvre une vision créatrice. Je sais aussi comment mobiliser l’équipe pour que la fusion des idées et des contributions ne ressemble pas à un puzzle mal ficelé. En fin de compte, c’est notre méthode de travail à nous pour que la création soit claire, singulière, de qualité et en phase avec une stratégie pertinente.

Pourtant dans le cas d’EDF, quelque chose n’a pas marché et c’est ça qui m’a plu.

Le projet d’identité sonore qu’EDF a retenu est en fait le dernier que nous avons produit. Nous avions déjà travaillé sur deux ou trois projets, mais je ressentais comme un manque. Les projets que nous avions bâtis fonctionnaient bien, ils étaient pertinents mais je ressentais quelque chose de bizarre. Je l’ai dit à Julien, mon talentueux bras droit en création. Dans ma tête, je crois que nos projets étaient forts et justes mais qu’ils n’étaient pas assez « EDF ». C’est un vrai sujet que de répondre pertinemment à une question, c’en est un autre que de le faire d’une façon qui s’intègre avec bonheur dans les gênes d’une marque. Dans le cas d’EDF, j’ai résumé ma pensée auprès de Julien en quelques mots « Il nous manque un projet plus ADN ».

Je me suis donc lancé dans un petit jeu que j’ai gardé pour moi. J’ai scanné pas mal d’images récentes de la communication d’EDF, j’ai fait des captures d’écran pour finir par produire un petit film en Flash. Sous les images ou parfois en surimpression, j’ai mis alternativement en français ou en anglais, le slogan de l’entreprise « Changer l’énergie ensemble » / « Leading Energy Change ». Le jeu était simple : Les images devaient m’inspirer pour qu’enfin j’imagine et devine la musique qui devait aller avec.

Très vite l’idée d’une sorte de chorale s’est imposée. Ensuite, j’ai trouvé que les visages, leur expression donnaient à la marque une détermination réelle, une certaine bienveillance aussi mais qui n’enlevait rien à cette volonté de la marque de scander sa vision.

J’ai dit à Julien que je voulais qu’on travaille sur un projet fait de voix à l’unisson, d’une grande simplicité orchestrale et bâtie sur une cadence marquée. Je n’en ai pas dit plus dans un premier temps. Ensuite, je n’ai plus regardé mon petit film, je ne l’ai pas non plus montré à Julien ni au reste de l’équipe. Je ne voulais que le projet soit victime des images ou en devienne une simple illustration. Le talent de l’équipe et notamment de Julien, les jeux de ping pong que lui et moi menons souvent en création, le timing serré qui fait que l’on va à l’essentiel ont fait le reste.

Cet exercice de « la chanson des images » à inventer, je l’avais mis en œuvre dix ans plus tôt lorsque nous avions créé l’identité sonore de Cogema. A l’époque, j’avais été jusqu’à montrer le film à Michel Jamard, – garçon charmant et ouvert à ces entorses méthodologiques -. à l’époque Directeur de la Communication de Cogema.

Je crois que ce projet est un des plus réussis de l’histoire de l’agence. Sa personnalité est très forte. La détermination est claire, la dimension collective, humaine, bienveillante est saillante. C’est un vocabulaire musical qui fait du bien à la marque et lui va bien.

Je vous laisse juge.

Facebook
Twitter
LinkedIn